L’Ombre, de Blanca Li… l’art de surprendre

Christophe Billard rencontre Blanca Li, directrice artistique et chorégraphe du nouveau spectacle "L'Ombre"

· Christophe Billard

J’ai eu la chance de pouvoir assister aux séances de répétition chorégraphique et de montage. La salle de l’IRCAM où vous jouez est impressionnante ; le spectacle l’est encore plus …

1. Sans dévoiler l’intrigue ou le corps du spectacle, L’Ombre mêle la danse, la réalité virtuelle et une chorégraphie spéciale. Pourriez vous en quelques mots nous dire où vous souhaitez emmener votre public cette fois-ci ?

J’ai envie de faire découvrir au public un spectacle qui ne ressemble à aucun autre. Le point d’inspiration initiale était le conte d’Andersen qui raconte comment un savant octroie le pouvoir à son ombre de se rendre autonome et de le représenter, et son ombre finit par le remplacer et l’éliminer. Les thèmes sont très en phase avec l’actualité et les peurs liées aux développements des technologies et de l’IA en particuler, et j’ai voulu faire un spectacle ou la technologie permet de créer des doubles des danseurs, et un univers fantastique où on confond le réel et le virtuel, où les possibilités offertes par la réalité augmentée permettent au spectateur de vivre une expérience immersive très audacieuse, belle et surprenante.

2. Du point de vue des technologies, L’Ombre s’inscrit dans la lignée du Bal de Paris de Blanca Li, un spectacle qui continue de tourner dans le monde entier et est très appréciée. En quoi ces deux spectacles diffèrent-ils ?

Ils sont très différents : dans le Bal de Paris de Blanca Li, chaque spectateur devient un avatar, qui a un rôle à jouer au sein d’un petit groupe d’une douzaine de spectateurs et qui ne peuvent vivre l’expérience qu’à travers un casque de réalité virtuelle qui les transporte ailleurs, alors que dans l’Ombre il y a 200 spectateurs qui se voient les uns les autres, voient la salle de l’Ircam, voient les danseurs et le percussionniste en vrai, avec la couche supplémentaire d’animations d’avatars, de décors et d’effets spéciaux mais qui peuvent enlever le casque de réalité augmentée à tout moment pour voir seulement la réalité d’un spectacle live qui a sa propre pertinence et beauté.

3. Vous entretenez un rapport très particulier, intime presque, avec les nouvelles technologies au service de la danse et la chorégraphie - et depuis longtemps. Quand nous nous sommes rencontrés au Japon en 2009, vous commenciez à réfléchir à votre spectacle « Robots », mêlant danseurs et machines. Que vous apporte la machine ou la tech en matière de geste dansé et de chorégraphie ?

Elle ouvre des possibilités de faire ce qui n’a pas encore été exploré. J’aime l’innovation et je cherche à l’appliquer et découvrir ce qu’elle apporte dans le domaine du spectacle vivant. Dans l’Ombre, il y a de nombreuses chorégraphies aériennes exécutées par des avatars, mais ce sont toujours les danseurs qui les ont éxécutées en vrai, les gestes ont été capturés et appliqués aux avatars. On reste toujours au plus proche de la qualité d’éxécution de l’être humain, incomparable à celui d’un être digital. Le spectateur verra que les danseurs réels gardent une présence et que le geste dont la beauté et la capacité à générer de l’émotion est insurmontable.

4. Comment la machine ou la tech est-elle perçue par vos danseurs? Ces derniers que vous avez comparés dans une interview précédente « aux pinceaux du peintre pour créer votre œuvre » ?

C’est un challenge pour eux, car que ce soit dans le Bal de Paris de Blanca Li ou l’Ombre, les interprètes doivent apprendre à cohabiter avec un univers et des personnages qu’ils ne voient pas, car ils ne peuvent pas danser équipés de casques VR. Mais c’est stimulant et enrichissant pour eux et ils vivent en plus tout cela d’une façon encore plus intime et personnelle car ils connaissent les mouvements qu’ils ont générés, et les identifient à chaque danseur qui a été filmé : ils jouent dans une chorégraphie où ce sont eux qui ont été démultipliés

5. Et, plus encore, pour votre public, comment cela modifie votre rapport avec lui ? De plus en plus, il me semble, vos spectateurs deviennent acteurs de vos œuvres ?

Cela dépend, c’était surtout le cas pour le Bal de Paris de Blanca Li. Pour l’Ombre, l’interactivité est plus limitée, mais j’aime que le spectateur puisse faire des choix, de points de vue, ou de mettre ou d’enlever le casque plusieurs fois par scène. C’est fascinant, et je pense que les spectateurs, s’ils viennent à plusieurs vont interagir surtout entre eux au cours du spectacle.

6. Pour conclure, quelques mots sur un projet qui vous est cher. Ce lien aux nouvelles technologies est un des axes de la Fondation Blanca Li - Académie des Beaux Arts que vous avez créée en 2024. Pourriez vous nous en dire plus sur cette fondation et ses missions ?

Mon projet de Fondation vient à un moment où ma compagnie atteint une reconnaissance solide et une stabilité qui nous a coûté des années d’efforts et de prise de risques. J’ai envie de transmettre le savoir faire accumulé, notamment autour de la technologie et de son interface avec la création pour la scène, et aussi de trouver la bonne manière de participer à l’accès de publics particuliers, comme les enfants ou les collégiens, à la danse.

Merci Blanca Li. Vous allez, une fois de plus, surprendre votre public avec L’Ombre. Ce n’est donc plus seulement 12 spectateurs mais presque de 200 personnes qui vibrent et bougent avec vos danseurs, leurs avatars et leurs ombres, pendant une heure.

L’Ombre est une création originale de Blanca Li sur une musique d’Edith Canat de Chizy. La chorégraphe franco-espagnole repousse une nouvelle fois les limites – humaines et techniques – pour placer danseurs et spectateurs en totale immersion dans cette magnifique sale de l’IRCAM, au décors singulier.

L’Ombre est une création très réussie, à mon sens, pour les multiples références à l’art, à l’architecture, au design et au cinema. Tout au long du spectacle, Blanca Li convoque le cinéma fantastique ou d’animation - je pense à Nosferatu de Werner Herzog, aux Temps Modernes de Chaplin, à Fritz Lang ou au films de super héros américiains bondissants entre des bâtiments.

Blanca Li fait aussi appel au Pop Art et à Robert Indiana ; à Giacometti, Herbin et Cézanne avec les toits de Paris ; à Magritte et ses parapluies-cintres qui tombent tels des gouttes de pluie. La ville et son architecture ne sont pas en reste ; qu’ils s’agisse des gratte-ciels de New-York, Hong-Kong ou Shanghai, des rues étroites et animées d’Osaka, de la pluie tombant sur des buildings dignes du Centre Pompidou. Vous verrez sûrement d’autres références qui raviveront vos propres souvenirs.

Enfin, L’Ombre est un spectacle qui interroge sur le rôle des nouvelles technologies. A l’heure de l’IA, quelle emprise, au-delà des bénéfices, ces nouvelles technologies ont-elles sur l’humain? Ainsi, le monstre se penche sur la danseuse : qu’il nous fasse penser à Kirikou et la sorcière ou à Frankenstein, ce monstre va-t-il supplanter son maître ? Comme le mentionnait Blanca Li, le spectateur oscille tout le temps durant la représentation entre illusion et monde réel. Enlever son casque et admirer les danseurs en procession autour de lui au son de la musique live. Garder son casque et rester dans le monde vertigineux autant que fascinant de Blanca Li.

Alors, à vous de jouer! Laissez-vous porter par l’instant, par la musique, par la danse et par votre humeur.

L’Ombre, de Blanca Li sur une musique d’Edith Canat de Chizy, est présenté jusqu’au 13 juin, dans le cadre du Festival ManiFeste, à l’IRCAM, 1 place Igor Stravinslty, Paris 4e – Pas d’excuse, c’est juste en face du Centre Pompidou!